6
-
La lichénologie au début du XXIe siècle |
|
Pour
faire connaissance avec les principaux acteurs actuels qui participent à
« l’activité lichénologique » en France, on se reportera au Catalogue des
lichens et champignons lichénicoles de France métropolitaine de Claude
Roux et collaborateurs (2014 et 2017) (52).
On trouvera en effet dans l’avant-propos de Cl. Roux, en particulier aux
paragraphes intitulés « des Abbayes et ses élèves », « Clauzade et ses
élèves » et « Association française de lichénologie », la liste des
principaux collaborateurs de l’ouvrage qui fait désormais autorité dans
notre pays.
(52) C. Roux et coll., 2014.
Catalogue des lichens et champignons lichénicoles de France métropolitaine,
Association française de lichénologie, Editions d’Art, Henry des
Abbayes, 35300 Fougères, 1525 p. ; la seconde édition revue et augmentée
(2017) est une version électronique qui comporte 1581 pages ; elle est
téléchargeable sur internet.
En ce qui concerne les acquisitions récentes en lichénologie, on
indiquera d’abord l’intérêt porté à quelques thèmes majeurs comme la
poursuite de l’inventaire des métabolites secondaires, le
développement de la lichéno-sociologie, la découverte d’espèces
nouvelles incluant les champignons lichénicoles. Outre ces
thématiques classiques, on insistera enfin sur les acquisitions nouvelles
obtenues grâce aux outils de la biologie moléculaire et de l’informatique
(communautés bactériennes associées aux lichens et second partenaire
fongique éventuel) et l’utilisation de la méthode cladistique pour ce qui
concerne la systématique.
Une « présentation des métabolites secondaires lichéniques » nous est
proposée par P. Le Pogam, M. Chollet-Krugler et J. Boustié
(2015) (53) dans le
Bulletin de l’Association française de lichénologie. Cette mise au point
récente fait état de 1037 composés référencés et les auteurs insistent sur
le caractère évolutif de cet inventaire. Parmi ces composés, de nombreuses
molécules assurent une protection contre les rayonnements UV (dérivés
de l’acide usnique, de l’acide pulvinique, quinones etc.).
Une nouvelle classe de photoprotecteurs, appelés mycosporines, a été
récemment décelée au sein des cyanolichens et chez certains chlorolichens
hydrophiles. D’autres composés sont impliqués dans la tolérance aux
métaux lourds, tandis que certains sont actifs sur les autres organismes
vivants et s’avèrent toxiques vis-à-vis d’autres espèces de lichens,
de bactéries, des mousses voire des plantes vasculaires (acides usnique,
évernique, vulpinique etc.).
Ces métabolites secondaires jouent également un rôle primordial dans l’équilibre
symbiotique, notamment en régulant la flore microbienne associée aux
lichens.
Au niveau des techniques nouvelles utilisées, la microcristallisation
s’avère être un outil performant pour caractériser les substances
lichéniques (Lagabrielle, 2014) (54).
(53)
P. Le Pogam, M. Chollet-Krugler et J. Boustie, 2015. Présentation des
métabolites secondaires lichéniques. Bull. Ass. fr. lichénologie,
vol. 40 (2) : 201-210.
(54) J. Lagabrielle,
2014. La microcristallisation des substances lichéniques, un outil
performant pour la lichénologie. Bull. Ass. fr. lichénologie, vol. 39
(2) : 177-207
Les aspects touchant la lichéno-sociologie présentent actuellement un
regain d’intérêt comme en témoignent de récentes et importantes
publications. On citera par exemple le travail de synthèse sur « la
sociologie des lichens corticoles en Europe » réalisé par C. Van Haluwyn
(2010) (55) et les travaux de
O. Bricaud et al. (2009) (56),
Bültmann et al. (2015) (57),
Ménard (2009) (58),
Roux et al. (2009) (59)
qui concernent principalement la France méridionale.
(55)
C. Van Haluwyn, 2010. « La sociologie des lichens corticoles en Europe »,
Bull. Ass. Fr. lichénologie, vol. 35 (2) : 1-128.
(56)
O. Bricaud, C. Roux & H. Bültmann, 2009. Syntaxonomie des associations de
lichens foliicoles de la France méridionale.
Bull. Soc. linn.
Provence,
60 : 143-150.
(57)
H. Bültmann, C. Roux, J.M. Egea, P. Julve, O. Bricaud, G. Giaccone, L.
Täuscher, M. Creveld, V. Di Martino, S. Golubiç & N. Takeuchi, 2015.
Validations and descriptions of european syntaxa of vegetation dominated by
lichens, bryophytes ans algae.
Lazaroa,
36 : 107-129.
(58) T. Ménard, 2009. Etude
phytosociologique et écologique des peuplements lichéniques saxicoles
calcifuges du sud-est de la France. Bull. Soc. linn. Provence, n° sp.
13, Marseille, 251 p
(59) C. Roux, H. Bültmann & P.
Navarro-Rosinès, 2009. Syntaxonomie des associations de lichens
saxicoles-calcicoles du sud-est de la France.
Bull. Soc. linn.
Provence,
60 : 151-175. |
|
La découverte de nouvelles espèces en France se poursuit du fait de
prospections de plus en plus nombreuses effectuées par des lichénologues
« avertis » ; cet aspect est particulièrement évident pour les
champignons lichénicoles.
Suite au travail initial de Vouaux (voir précédemment), et s’appuyant sur
toutes les études déjà réalisées sur le sujet, un travail fondateur
débouchant sur une clé de détermination des champignons lichénicoles a été
réalisé par Georges Clauzade, Paul Diederich et Claude Roux
en 1989 (60). Nos
connaissances dans ce domaine progressent sensiblement grâce à la
perspicacité et à l’efficacité de quelques (trop) rares spécialistes : plus
de 600 espèces ont actuellement été recensées en France métropolitaine. (61)
(60) G.
Clauzade, P. Diederich & C. Roux, 1989. Nelikeniĝintaj fungoj
likenloĝaj-Illustrita determinlibro.
Bull. Soc. linn.
Provence,
n° sp. 1, Marseille, 142 p
(61) Cf. les données
statistiques de la flore lichénique de la France métropolitaine dans le
Catalogue des lichens et champignons lichénicoles de France métropolitaine
de C. Roux et coll., 2ème édition revue et augmentée
(2017) en version électronique, téléchargeable sur internet. |
|
L’utilisation des techniques de la biologie moléculaire et de l’outil
informatique (J.-B. et L. Quiot, 2015) (62)
jointes à des techniques microscopiques performantes (microscopie confocale,
fluorescence) a permis des progrès sensibles dans la connaissance de
l’organisation structurale très complexe des lichens et en particulier des
communautés bactériennes associées aux lichens. Par ailleurs, c’est grâce à
l’utilisation de ces techniques de pointe qu’a été récemment découvert un
second mycosymbiote dont la présence discrète n’avait pu être détectée par
l’observation microscopique classique.
(62) J.-B et L. Quiot,
2015. Initiation à la biologie moléculaire, Bull. Ass. fr. lichénologie,
vol. 40 (2) : 121-161. |
L’utilisation des techniques de la biologie moléculaire et de l’outil
informatique (J.-B. et L. Quiot, 2015( (63)
jointes à des techniques microscopiques performantes (microscopie confocale,
fluorescence) a permis des progrès sensibles dans la connaissance de
l’organisation structurale très complexe des lichens et en particulier des
communautés bactériennes associées aux lichens. Par ailleurs, c’est grâce à
l’utilisation de ces techniques de pointe qu’a été récemment découvert un
second mycosymbiote dont la présence discrète n’avait pu être détectée par
l’observation microscopique classique.
(63) J.-B et L. Quiot,
2015. Initiation à la biologie moléculaire, Bull. Ass. fr. lichénologie,
vol. 40 (2) : 121-161.
La
présence d’un second mycosymbiote dans les lichens n’était pas
attendue. Aussi, la publication dans la célèbre revue américaine Science
en juillet 2016 (Spribille et al. 2016, Spribille,
2018) (65) de la présence de
« levures » basidiomycètes spécifiques chez de nombreuses espèces de lichens
appartenant en particulier à la famille des Parmeliaceae, a fait
l’effet d’une « bombe » dans le milieu lichénologique. Cette présence d’une
composante fongique supplémentaire permanente remet en effet en cause le
paradigme jusque-là admis « un lichen-un champignon ».
(65)
. Spribille, V.
Tuovinen, P. Resl, D. Vanderpool, H. Wolinski, M.-C. Aime, K. Schneider, E.
Stabenheimer, M. Toome-Heller, G. Thor, H. Mayrhofer, H. Johannesson and
J.-P. McCutcheon, 2016.
Basidiomycete yeasts in the cortex of ascomycete macrolichens. Science,
10.1126/science. Aaf828. et T. Spribille, 2018. Relative symbiont input and
the lichen symbiotic outcome.
Current Opinion
in Plant Biology,
44 : 57-63.
Tout est
parti de l’étude de deux espèces de Bryoria : B. fremontii et
B. tortuosa. Ces deux espèces diffèrent par la couleur de leur thalle,
jaune pour B. tortuosa et brun-noir pour B. fremontii. Et
pourtant, les analyses moléculaires effectuées sur le mycosymbiote (Ascomycota,
Lecanoromycetes, Bryoria) et sur le photosymbiote (Viridiplantae,
Trebouxia simplex) ne permettent pas de distinguer les deux espèces.
L’analyse des acides lichéniques a montré que les deux espèces différaient
par la plus ou moins grande quantité d’acide vulpinique présent dans les
thalles : B. tortuosa est le plus riche en acide vulpinique ce qui
explique sa couleur jaune (comme Letharia vulpina) tandis que B.
fremontii est brun-noir en raison de sa faible teneur en acide
vulpinique. Or, une analyse moléculaire poussée a montré la présence chez
les deux espèces d’éléments caractéristiques du groupe des Basidiomycètes
plus abondants chez B. tortuosa que chez B. fremontii. Une
corrélation existe donc entre la présence du champignon surnuméraire et la
présence plus ou moins importante d’acide vulpinique, suggérant
l’implication directe de ce champignon dans la synthèse de l’acide
vulpinique.
L’analyse
phylogénétique a permis d’identifier ce second mycosymbiote comme
appartenant à la classe des Cystobasidiomycetes et qui correspondrait à
l’une des deux espèces de Cyphobasidium connues. La détection de
petites cellules de 3 à 4 µm de diamètre constituant ce champignon,
complètement noyées dans les polysaccharides du cortex périphérique des
Bryoria, n’a pu être réalisée que par la technique d’hybridation in
situ associée à la fluorescence (FISH) ciblant de façon spécifique les
séquences rRNA de l’ascomycète et du cystobasidiomycète. La présence du
basidiomycète a été reconnue chez de nombreux lichens Lecanoromycetes et
détectée dans 52 genres dispersés dans les six continents, incluant 42 des
56 genres appartenant à la famille des Parmeliaceae.
La présence de deux mycosymbiotes dans la constitution d’un même lichen fait
ressurgir le problème de la nomenclature : doit-on réunir B. tortuosa
et B. fremontii sous un même nom d’espèce ? Cette façon de voir
renforcerait l’importance des notions de morphotype, chémotype, etc. si
souvent utilisées en lichénologie, en leur donnant une base biologique
précise. Cette « intrusion » d’un second mycosymbiote peut ouvrir un champ
nouveau de recherche sur cette symbiose lichénique qui se révèle de plus en
plus complexe. |
Une autre
avancée spectaculaire concerne la systématique.
En effet,
depuis les années 1980 la systématique phylogénétique – ou cladistique -
fondée en 1950 par l’entomologiste allemand Willi Hennig (1913-1976)
s’est largement développée dans toutes les branches de la biologie. « Elle
se propose de retrouver les parentés évolutives entre espèces en les
rassemblant en groupes monophylétiques, c’est-à-dire en groupes comportant
un ancêtre commun et la totalité de ses descendants.(66) ».
(66) G. Lecointre et H.
Le Guyader, 2006. Classification phylogénétique du vivant, 3ème
édition, Belin, Paris p. 16.
Outre
cette avancée méthodologique, les progrès techniques de la biologie
moléculaire ont donné accès à de nouveaux caractères contenus dans les
séquences des macromolécules biologiques (ADN, ARN, protéines) qui sont
venus s’ajouter aux caractères morphologiques, cytologiques, chimiques…
jusqu’ici utilisés. Les éléments de base de biologie moléculaire pour une
bonne compréhension de la phylogénie moléculaire sont utilement exposés dans
l’article de J.-B et L. Quiot (2015) déjà cité. Ces approches
nouvelles ont considérablement bouleversé les classifications du vivant.
La
classification phénétique, basée sur des critères essentiellement
morphologiques et anatomiques (macro- ou microscopiques) montre ses
insuffisances : des espèces morphologiquement proches, placées dans un même
taxon, peuvent être en réalité très différentes au niveau moléculaire. Des
phénomènes de convergence morphologique peuvent masquer en fait la véritable
parenté phylogénique. L’établissement d’une classification phylogénétique
fait l’objet, ces dernières années, d’un travail de recherche dans tous les
domaines du vivant. Le groupe des lichens n’a évidemment pas échappé à cette
« révolution » à la fois méthodologique et conceptuelle.
Près de
45% des champignons ascomycètes forment des associations avec des algues ou
des cyanobactéries. Ces organismes composites sont appelés lichens. Mais ce
groupe n’est pas monophylétique. Le processus de lichénisation s’est produit
plusieurs fois au cours de la longue histoire du vivant : les lichens n’ont
pas d’ancêtre unique. Le terme de lichen n’a donc pas de valeur systématique
au sens phylogénétique du terme.
L’association symbiotique de type lichen n’est en fait qu’un des modes de
nutrition des ascomycètes et sur le plan de la systématique, les lichens
sont considérés comme un groupe biologique faisant partie intégrante des
ascomycètes (à l’exception de quelques espèces où le champignon est un
basidiomycète). C’est donc dans ce groupe de champignons qu’on doit
rechercher la place occupée par les lichens dans l’actuelle classification
phylogénétique.
Les premières tentatives d’une telle classification des ascomycètes
ont débuté avec le XXIe siècle : en 2004, F. Lutzoni et
al. (67) apportent les
premiers éléments dans la revue American Journal of Botany, puis en
2007 deux nouvelles publications américaines apportent des compléments
importants : le numéro 98 de Mycologia (68)
est entièrement consacré à la phylogénie des champignons et la revue
Mycological Research publie un article signé par D. Hibbett et
al. (69) qui présente les
grandes lignes d’une nouvelle classification encore incomplète et
provisoire, mais qui reçoit l’approbation de la majorité des mycologues.
La publication de la 10e édition du « Dictionary of the fungi »
de P.M. Kirk et al. paraît en 2008. J.-P. Gavériaux,
dans le Bulletin de l’Association française de lichénologie (2009-2)
en reprend de larges extraits concernant en particulier les ascomycètes
lichénisés. Le Catalogue des lichens et champignons lichénicoles de
France métropolitaine de Claude Roux et collaborateurs tient
évidemment compte de ces avancées taxonomiques et nomenclaturales.
(67) F.
Lutzoni et al., 2004. Assembling the Fungal Tree of Live : Progress,
Classification and Evolution, Amer. J. Bot., 91 (10) : 1446-1480.
(68) J. W.
Spatafora, K. W. Hugues & M. Blackwell, 2006. A phylogeny for kingdom Fungi,
Mycologia, 98 (6) : 829-1040
(69) D.
Hibbett et al., 2007. A higher-level phylogenetic classification of
Fungi.
Mycological
Research,
111 : 509-547. |
Quelques
ouvrages importants publiés depuis le début du XXIe siècle :
- F. S. Dobson, 2000. Lichens (an illustrated guide to the British
and Irish species), Cambrian Printers, Aberystwyth, Wales, 431 p.
- P. Tiévant, 2001. Guide
des lichens (350 espèces de lichens d’Europe), Delachaux & Niestlé édit.,
Lausanne, Paris, 304 p.
- E. Sérusiaux, P. Diederich & J. Lambinon, 2004.
Ferrantia 40, Les macrolichens de Belgique,
du Luxembourg et du nord de la France, clés de détermination. Travaux
scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle, Luxembourg.
- C.W. Smith, A.
Aptroot, B. J. Coppins, A. Fletcher, O. L. Gilbert,
P. W. James & P. A. Wolseley, 2009.
The Lichens of Great Britain and Ireland. British Lichens Society,
London, 1046 p.
- C. Van Haluwyn,
J. Asta avec la collaboration de J.-P. Gavériaux, 2009. Guide
des Lichens de France, Lichens des arbres, collection « Fous de Nature »,
Belin édit. 240 p.
- C. Van Haluwyn, J.
Asta, J.-C. Boissière, P. Clerc avec la collaboration de
J.-P. Gavériaux, 2012. Guide des Lichens de France, Lichens des sols,
collection « Fous de Nature », Belin édit.
224 p.
- T. Ahti, P. M. Jørgensen, H. Kristinsson, R.
Moberg, U. Sochting & G. Thor (editorial board),
1999-2013. Nordic Lichen Flora, 6 volumes (Caliciales, Physciaceae,
Cyanolichens, Cladoniaceae, Parmeliaceae, Verrucariaceae 1).
- V. Wirth, M. Hauck & M. Schultz, 2013. Die Flechten
Deutschlands. Ulmer, Stuttgart.
- C. Roux et coll., 2014.
Catalogue des lichens et champignons lichénicoles de France métropolitaine,
publication de l’Association française de lichénologie, Editions d’art Henry
des Abbayes, 35300 Fougères, 1525 p. et la seconde édition de ce catalogue,
revue et augmentée, publiée sous forme numérique en 2017 et comprenant 1581
p.
- J. Asta, C. Van Haluwyn et M. Bertrand (avec la
participation de J.-M. Sussey et J.-P. Gavériaux), 2016. Guide
des Lichens de France, Lichens des roches, collection « Fous de Nature »
Belin édit., 383 p. |
Article de Jean Vallade paru dans le bulletin 2 de 2018 de
l'Association française de lichénologie.
Remerciements
à Françoise Drouard, Alain Gardiennet, Jean-Pierre Gavériaux, Claude
Roux et Chantal Van Haluwyn pour la relecture du texte et les
propositions pour l’améliorer et le compléter.
1 /
2
/
3 /
4 /
5 / 6
|