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Lichens et évolution de la classification des êtres vivants (3)
par Jean-Pierre Gavériaux
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3. L’intégration des lichens dans le règne fongique
 

 

La classification en 5 règnes a beaucoup de mal à se développer en France durant le XXe siècle. Les structures d’enseignement (secondaire ou supérieur) l’ignorent et refusent bien souvent d’en entendre parler. Toutefois quelques biologistes résistent et vont même beaucoup plus loin en proposant des définitions des divers groupes en donnant cette fois des listes de critères bien précis.

Les champignons ne sont plus définis comme des végétaux inférieurs dépourvus de chlorophylle ; ils correspondent à un règne ayant les caractères suivants :

1. eucaryotes (les chromosomes sont enfermés dans un noyau) ;
2. hétérotrophes vis-à-vis du carbone : incapables d'utiliser l'énergie solaire, ils utilisent de nombreuses molécules carbonées fabriquées par d'autres êtres vivants ;
3. absorbotrophes : ils réalisent leur nutrition par absorption ;
4. leur appareil végétatif est ramifié, diffus et tubulaire ; il est constitué de filaments fins enchevêtrés, les hyphes, à croissance apicale ;
5. ils produisent des substances qui leur sont propres (tréhalose, mannitol, etc.), leur paroi contient de la callose, de l'hémicellulose et de la chitine (voisine de la chitine des insectes) ; leur premier polymère glucidique est le glycogène ;
6. ils se reproduisent par des spores mitotiques ou méiotiques, issues d'une reproduction asexuée ou sexuée (et alors haploïdes après une phase à dicaryon plus ou moins longue) ; ils élaborent fréquemment des structures de formes très variables portant ces spores : les conidiomes, les ascomes et les basidiomes ;
7. ils produisent des spores non flagellées (ou uniflagellées chez les Chitridiomycota), jamais biflagellées.

Pour se développer les champignons vont exploiter (comme nous le faisons nous-mêmes) l'énergie provenant de la dégradation de la matière organique élaborée par d'autres êtres vivants. Ils sont hétérotrophes vis-à-vis du carbone et trouvent leur « nourriture » selon trois modalités différentes.

 

La nécrotrophie [ou saprophytisme] : Les champignons nécrotrophes (autrefois appelés saprophytes) se développent en absorbant la matière organique en décomposition (litière, bois mort, excréments, etc.). Ce mécanisme permet le recyclage des éléments à la surface de la planète.

 
   
 

La biotrophie [ou parasitisme] : Les champignons biotrophes (ce terme est actuellement préféré à celui de « parasites ») puisent leur matière organique dans un être vivant (animal, champignon ou végétal) et provoquent diverses maladies dont les mycoses humaines. De nombreuses plantes cultivées sont ainsi la proie de champignons microscopiques (oïdiums, rouilles, etc.).

 

La symbiose :

1er cas : Les champignons s’associent à un partenaire chlorophyllien macroscopique, Spermaphyte, Ptéridophyte ou Bryophyte :  il y a symbiose mycorhizique [exemple Lactarius subdulcis associé au hêtre (Fagus sylvatica)].

2e cas : Les champignons capturent un « partenaire » chlorophyllien microscopique, algue ou cyanobactérie : il y a symbiose lichénique. Cette capacité de s’associer à un photosynthétisant microscopique constitue le phénomène de lichénisation.
 

 

Schématisation des échanges entre les partenaires de la symbiose mycorhizique

   
 

Les lichens ne constituent donc plus une unité systématique.

 

La lichénisation est une stratégie nutritionnelle, le champignon absorbe les molécules produites par le photosymbiote qu’il emprisonne dans son réseau d’hyphes au lieu d’envoyer ses hyphes dans un substrat qu’il doit ensuite décomposer. Ce phénomène de lichénisation s’est produit à plusieurs reprises au cours de l’évolution des champignons.

 

Les lichens n’existent plus dans la classification en 5 règnes, mais ils sont entièrement intégrés aux champignons. Il n’y a que quelques basidiomycètes associés aux algues par contre, plus de 40 % des ascomycètes sont lichénisés. 

Un champignon lichénisé acquiert des propriétés nouvelles :
- la reviviscence : capacité de passer rapidement, réversiblement et répétitivement de l'état sec à l'état hydraté ;
- la résistance aux températures extrêmes : l’activité assimilatrice peut encore être active à - 40 C ;
- la capacité de croître sur ou dans des milieux difficiles : rochers, écorces, déserts, etc. ;
- la capacité de fabriquer des substances que ni le champignon, ni l’algue ne sont capables de synthétiser seuls (pigments et acides lichéniques).
- La capacité d’élaborer une structure fongique plus ou moins volumineuse et pérenne, le thalle lichénique (alors que les champignons non lichénisés ne possèdent qu’un mycélium diffus et que leur conservation est toujours très limitée).

Un lichen est constitué d’un assemblage d’hyphes emprisonnant un ou plusieurs photosynthétisants microscopiques (algue et/ou cyanobactérie) sur ou dans lesquels certaines hyphes développent des structures d’absorption pour assurer leur nutrition.

À chaque lichen correspond un Ascomycète* particulier et le nom attribué au lichen est celui du mycosymbiote ; les algues ne jouent aucun rôle dans la systématique actuelle des lichens. Les champignons lichénisés exploitent un nombre limité d’algues et une même espèce d’algue peut être utilisée par plusieurs ascomycètes différents.

 * Il n'y a que quelques badiomycètes lichénisés

 

Parfois un même champignon peut s’associer avec deux algues différentes, l’association avec la première algue donnant une morphologie différente de celle réalisée avec la deuxième algue ; ces 2 lichens différents vont pourtant porter le même nom, celui du champignon ; ce sont des phycotypes (ils diffèrent par la nature de l’algue).

 

Champignons à part entière, les lichens ne sont toutefois pas (ou rarement) étudiés par les mycologues. Leur étude ainsi que celle des champignons microscopiques qu’ils hébergent (champignons lichénicoles) restent l’objet d’une science autonome : la lichénologie.

   
 

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